LA RENCONTRE INATTENDUE
Depuis le départ mouvementé de la planète Wilder, Rusky demeurait crispée. Elle se trouvait dans le siège passager, ses doigts agrippés aux accoudoirs et les yeux fermés. Lotpak voulu plusieurs fois entamer la conversation pour briser la glace mais aucun mot ne sortait de la bouche de Rusky. Bien que ce moment sembla durer une éternité, seules quelques minutes s’écoulèrent jusqu’à ce que le mode hyper espace soit activé. Les tremblements du vaisseau disparurent et Rusky sembla alors se détendre instantanément.
Arold finissait son implémentation de trajectoire dans le système du vaisseau quand elle ouvrit les yeux. Lotpak, dont les sens étaient perpétuellement en éveil, avait déjà ressenti que sa passagère émergeait progressivement et retrouvait ses esprits. Il se tourna vers elle et, d’une voix rassurante, lui proposa de l’eau et de la nourriture.
Rusky accepta cette délicate attention mais, dubitative de ne voir autre chose que des sachets posés sur la table, elle ne savait comment réagir. Lotpak prit les devants pour lui montrer qu’il n’y avait rien à craindre et lui montra comment faire pour utiliser les sachets devant elle : « sois rassurée, tous les aliments que nous avons à bord sont digestes pour ton espèce, nos scientifiques les ont validés. »
Rusky mourant de faim depuis des jours mit ses doutes de côté et avala ce que Lotpak lui présentait. Bien que sa passagère semblait se sentir plus à l’aise, elle restait muette face aux tentatives de Lotpak de dialoguer avec elle. Il n’était pas du genre à se dévoiler facilement aux autres mais Lotpak décida alors de lui raconter son histoire, son enfance sur la planète Trifak, les us et coutumes de son peuple, mais aussi la perte douloureuse de ses parents. Après ce récit prenant, il lui parla du KUG et la raison pour laquelle il avait décidé de s’y investir, de ses longues années d'entraînement et de son désir profond de contrer l’empire SAPIK.
A la fin de ce long récit, un silence s’installa dans le vaisseau. Quelques minutes plus tard, à la surprise de Lotpak, Rusky se mit à parler. De la même manière qu’il venait de s’ouvrir à elle, elle repassa le fil de sa vie sur Wilder, de sa connexion avec la nature et de son désintérêt pour les technologies. Elle expliqua ensuite en détails les différences entre les guildes, leur massacre et la manière avec laquelle elle avait réussi à survivre seule sur sa planète. Durant cet échange, Rusky ne cessait de scruter Lotpak. C'était la première fois qu’elle rencontrait une espèce étrangère à la planète Wilder. Aucun détail ne semblait lui échapper : sa silhouette, ses réactions et surtout son regard. Lotpak sentait qu’elle tentait de sonder son âme. Pouvait-elle y avoir accès ?
Était-ce son histoire qui avait convaincu Rusky ou avait-elle trouvé elle-même une motivation dans l’esprit de Lotpak? Mais elle savait désormais que l’empire SAPIK constituait une grave menace et proposa son aide dans cette lutte. Elle ressentait cependant un doute au sujet du KUG. Et si celui-ci prenait la place des SAPIK en cas de victoire ?, comment savoir si elle n’allait pas participer à la mise en place d’un autre despote au sein de la galaxie ?
Lotpak durant les heures qui suivirent, essaya de la convaincre que le KUG n’était pas le mal car, au contraire, il fédérait les races et les peuples dans un même combat pour la paix.
Arold interrompit la conversation pour signaler qu’il recevait un signal de courte portée provenant d’un nuage d’astéroïdes. Il n’arrivait pas à déterminer s' il s’agissait d’un message de détresse. Toute la gamme de fréquences était saturée tandis que le cryptage utilisé était inconnu de la base de données du KUG, rendant impossible son déchiffrage. Ces signaux pouvaient potentiellement être l’occasion de rencontrer une civilisation qui pourrait les aider.
Lotpak demanda à Arold de changer la trajectoire du vaisseau et de se rendre aux coordonnées de la provenance du signal. En approche lente de la destination, évitant les astéroïdes sur leur chemin, un vaisseau énorme se matérialisa devant eux, il était différent des vaisseaux des espèces amies au sein du KUG. De forme ovoïde, nervuré sur sa surface, les gonflements réguliers des veines parcourant le vaisseau faisaient penser à un cœur battant au ralenti. Une lumière bleutée se propageait à la surface de l’astronef au rythme d’une pulsation régulière.
Ce vaisseau était organique, ou du moins une partie de celui-ci semblait vivante. Lotpak, malgré les réticences d’Arold et de Rusky, voulait en savoir plus et décida d’envoyer plusieurs messages de contact, sans réponse.
Lors du survol du vaisseau Alien, Lotpak remarqua une entrée pouvant permettre à son vaisseau de s’y engouffrer. L’intérieur était immense, des dizaines de plateformes d’accostage étaient visibles, mais seules trois étaient encore occupées par des navettes semblables au vaisseau mère mais bien plus petites. Arold engagea une manœuvre au niveau de la plateforme la plus proche. L’analyse de l’air indiquait qu’ils pouvaient sortir sans équipement lourd. Rusky suivit alors Lotpak dans le sas ouvert du vaisseau mère. L’exploration débutait, à la fois excitante et stressante.
Le sol était mou, il s’enfonçait d’environ un centimètre à chaque pas et remontait d’un demi-centimètre autour de leurs bottes. Ainsi, le sol se comportait comme s’il tentait de créer une connexion avec l’être qui lui marchait dessus et, n’arrivant pas à créer ce lien, se retirait instantanément. Tout semblait représenter l’intérieur d’un corps. Du sol au plafond des mouvements étaient perceptibles, comme si la vie habitait ce vaisseau. Des sigles inconnus recouvraient les murs, ils avaient été dessinés, ou plutôt tatoués.
Il n’y avait pas besoin de lumière, des pulsations phosphorescentes bleutées jaillissaient des murs à intervalles réguliers. Arold, dans son droïde, faisait des allers-retours dans les couloirs, signalant en avance les passages que pouvaient emprunter Rusky et Lotpak. Après la dernière bifurcation, une salle apparut devant eux. A en juger sa disposition et les pupitres de navigation qui la remplissaient, il s’agissait probablement de la salle de contrôle. En son centre une boule de couleur émeraude scintillait, sa surface dégageait une aura hypnotique.
Lotpak fut attiré vers elle dès le premier regard. Il s’approcha d’un pas décidé et tendit la main vers elle sans aucune peur et la toucha. Instantanément la couleur des murs changea, passant du bleuté à un rouge intense. Il ne fallut que quelques secondes pour entendre des grognements se rapprochant rapidement de leur position. Rusky et Arold sentirent le danger et se placèrent à côté de Lotpak le regard rivé sur l’entrée.
Une ombre apparut à l’entrée, les grognements étaient menaçants, une bête immense sur le pas de la porte les fixait, les jaugeant un par un. Elle ressemblait à un loup géant, dépourvu de poils. Sa peau, luisante et noire comme de l’ébène, la rendait encore plus effrayante.
D’un bond, la bête se précipita en direction de Rusky. Lotpak la poussa pour l’écarter de la trajectoire. La bête voyant sa cible se dérober fit volte-face et reprit sa chasse. La course poursuite qui suivit ne laissait aucun doute à son issue fatale, ils ne pourraient pas en réchapper. Se retournant brusquement, Rusky fit barrage à la bête, la fixa du regard et ne bougea pas quand elle lui sauta dessus. Lotpak n’eut pas le temps d’intervenir quand la bête percuta Rusky.
Le temps d’un instant, la vision de Lotpak se brouilla, une vive lumière remplit le couloir et lorsqu’elle revint, il n’en croyait pas ses yeux, Rusky ne s’était pas déplacée d’un centimètre et la bête n’était plus là. Aux pieds de Rusky se trouvait un petit animal guère plus grand qu’un singe capucin. Sa queue s’enroulait autour de la jambe de Rusky pendant que ses yeux globuleux fixaient Lotpak. Il n’y avait plus d'animosité de sa part, sa peau changeait de couleur par intermittence passant du vert clair au vert foncé, elle était bioluminescente.
Lotpak restait incrédule. Rusky se retourna face vers lui et dit :
« Je ne savais pas si ça marcherait mais je crois bien que le lien est établi, elle ne nous fera plus de mal maintenant. »
« Mais c’est quoi…..ça à tes pieds !?! » « C’est la forme originelle de la bête, celle qui nous poursuivait était sa forme défensive, elle protégeait le vaisseau »
« C’est ce que ressent à travers le lien » « Nous sommes désormais liés »
Lotpak décida que plus tard il faudrait discuter avec Rusky de ce qui venait de se passer. Pour le moment, il fallait revenir dans la salle des commandes pour récupérer la Xphère et la ramener au KUG. C’était inespéré d’en croiser une et de pouvoir la récupérer.
Les couloirs étaient devenus sombres, plus aucune lumière ne se dégageait du vaisseau, plus aucun sigle sur les murs n’était perceptible. La vie s'était éteinte. Arold guidait Lotpak, Rusky et la petite chose sur le chemin de la salle des commandes, il éclairait de ses spots latéraux les couloirs assombris.
Lors de leur entrée dans la salle de contrôle, la Xphère n’était plus là, envolée, elle et son pouvoir. Le vaisseau n’était plus qu’une coquille vide errant dans le cosmos.
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